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"Politique familiale : sortir des confusions", par Jean-Didier Lecaillon
Article publié sur Aleteia le 4/04/2022.
La politique familiale s’est transformée au fil des années en politique sociale, confondant tous les objectifs. Pour le professeur Jean-Didier Lecaillon, auteur de “La Famille source de prospérité” (Éd. Reignier), la famille peut retrouver son rôle dans la société avec une politique familiale universelle et subsidiaire, cohérente et stable.
Confusions, incompréhensions, incohérences et finalement abandon marquent la politique familiale. Certes, l’attachement à la famille est mentionné dans tous les sondages ; elle est « cellule de base de la société ». Mais la politique en sa faveur tombe en désuétude… L’observation des faits, la clarification des problématiques et des objectifs à retenir sont nécessaires car l’absence de réflexion sur la politique familiale explique son démantèlement. Pour commencer, des rappels historiques complétés de définitions à préciser doivent permettre d’éviter les confusions les plus courantes.
Les premières mesures en faveur des familles remontent aux années 1920 à l’initiative de patrons chrétiens soucieux d’appliquer la doctrine sociale de l’Église selon laquelle « le salaire des travailleurs doit leur permettre d’assurer leur subsistance et celle de leur famille » ; ce principe rejoignait la définition du salaire, de subsistance chez Adam Smith, naturel pour David Ricardo, pour qui la rémunération du travailleur doit lui permettre de subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants (dimension familiale) et d’assurer son remplacement (dimension démographique).
De la politique familiale à la politique sociale
Pour éviter tout effet pervers, des caisses de compensation entre les entreprises furent mises en place. Le lien entre travail et prestation familiale est ainsi clairement établi : les entreprises sont en première ligne. Les préoccupations d’ordre démographique prennent ensuite une place prépondérante. Pour justifiée que soit cette préoccupation, elle explique une grande partie de la confusion entre politiques familiale et démographique. En revanche, l’intérêt du monde économique est confirmé car si les ouvriers n’ont pas d’enfants, c’est à terme la force de production qui est menacée. L’adoption d’un Code de la famille en 1939 est une étape importante dans la mesure où l’orientation prise sera poursuivie sous des régimes politiques très différents qui reprendront à leur compte la volonté de compenser le coût de l’enfant, de faciliter la constitution de familles nombreuses et de permettre aux mères de rester au foyer.
Finalement, la plupart des prestations existantes au début des années 1990 étaient créées en 1948. En particulier, la loi de finances du 31 décembre 1945 fait de la famille l’interlocuteur de l’administration fiscale. En revanche, on observe une rupture de motivations, surtout à partir des années soixante, les mesures étant limitées à certaines catégories de familles selon des considérations qualifiées de « sociales » tandis que les avantages financiers accordés subissent une érosion relative et en pouvoir d’achat. Ainsi est illustrée la diversité des problématiques tandis que des incohérences, voire des contradictions, apparaissent, justifiant de rappeler quelques définitions de base.
Confusion sur les objectifs
Une première source de confusion vient d’une mauvaise définition des objectifs… En matière de fiscalité par exemple, le financement des biens publics, la réduction des inégalités, l’incitation à consommer certains biens au détriment d’autres sont des objectifs différents qu’il convient de distinguer. Ainsi, les politiques sociale, démographique et familiale ne répondant pas à la même préoccupation, elles ne peuvent pas avoir les mêmes modalités ! La politique sociale ne s’intéresse qu’aux groupes particulièrement défavorisés ; elle vise à corriger une situation. La politique démographique a pour fin de modifier la taille de la population, ou sa répartition sur le territoire. La politique familiale vise l’ensemble des décisions de portée générale en faveur de tous les membres de la famille et de toutes les familles ; contrairement à la politique sociale, elle a pour fonction d’assurer le prolongement de la situation qui est à l’origine de l’intervention et non de la faire cesser !
Quelle égalité pour quel modèle de famille ?
D’autres confusions résultent d’imprécisions dans le vocabulaire. Ainsi, l’égalité (et la redistribution associée), peut être qualifiée de verticale ou d’horizontale, et ce n’est pas la même chose ! Dans le premier cas, c’est l’échelle des revenus que l’on cherche à modifier en effectuant des transferts des plus riches vers les plus pauvres. Dans la perspective d’une compensation des coûts de l’enfant, on cherche au contraire à assurer l’égalité entre ceux qui ont des enfants à charge et ceux qui n’en ont pas, les transferts s’effectuant alors de l’ensemble de la société vers toutes les familles.
quelle image souhaite-t-on donner de la femme au foyer, de la maternité, de la place du travail par exemple ?
La définition de la famille elle-même est source de confusion. En soi, toute politique pourrait être qualifiée de familiale puisqu’elle finit par toucher des personnes qui toutes ont une histoire familiale. Mais au-delà de cette généralité, il convient de repérer les comportements devant faire l’objet d’incitations et les messages, nécessaires au développement de la société, à faire passer. C’est la question du sens : quelle image souhaite-t-on donner de la femme au foyer, de la maternité, de la place du travail par exemple ? Il est clair que la famille stable est un meilleur bien pour le corps social ; elle produit des externalités positives. Le modèle à promouvoir du point de vue économique est donc : l’union stable et durable, d’un homme et d’une femme, ayant un désir d’enfants et le souci de les éduquer.
À quoi sert la famille ?
Or les faits confirment que la situation matérielle des familles en général, des familles monoparentales ou de celles dans lesquelles un seul conjoint a une activité professionnelle et des familles nombreuses en particulier, se dégrade. Quant aux enquêtes effectuées, elles révèlent que les couples ont moins d’enfants qu’ils le désirent. La difficulté provient de ce que la politique familiale ne produit ses fruits qu’à long terme… Raison de plus pour en préciser les objectifs de fond.
Les difficultés de mesure et de prise en compte du futur, des réserves psychologiques (payer la famille ?), peuvent expliquer un certain désintérêt pour la politique familiale. Il est d’autant plus important d’en préciser les fondements : à quoi sert la famille ? quel en est le sens ? quelle est la vision sous-jacente ? Quels sont les principaux arguments en faveur de cet « investissement » ? Au-delà de la natalité, deux raisons suffisantes justifient d’agir : premièrement, au plan des valeurs, c’est un espace de liberté ; toute politique en sa faveur accroît la vitalité de la population en développant esprit d’initiative, de compétition et d’optimisme ; deuxièmement, l’existence de familles est bénéfique au développement économique et social.
Le rôle moral et social de la famille
Si l’expression « cellule de base de la société » a un sens, c’est parce que les familles, riches ou pauvres, grandes ou petites, anciennes ou récentes, rurales ou urbaines, instruites ou non, forment ensemble et solidairement le tissu social lui-même. Il s’agit donc de remettre la famille au centre des enjeux politiques, la question de l’instabilité familiale ne pouvant pas être écartée. À cette notion de durée, il faut ajouter celle de responsabilité qui nécessite de prendre conscience de la conséquence de ses actes. A contrario, la logique de l’allocation comme palliatif à une situation particulière revient à substituer l’assistance à l’exercice de la responsabilité des familles tandis que l’accent mis sur les droits de l’enfant revient à ignorer la famille comme institution médiatrice entre vie privée et vie publique.
La confiance et la considération sont nécessaires car « vouloir vivre durablement avec un homme ou une femme et vouloir des enfants suppose confiance en l’homme et conviction d’éternité, sinon certaine, du moins “ambiante” » (Catherine Rouvier, Lettre aux candidats, AFSP, 1995). C’est une question de culture et donc aussi affaire de l’État. La politique familiale touche aux fondements de la politique dans le sens où c’est l’harmonie de la société qui est visée : ce sont les familles et non l’État qui contribuent au bonheur et à l’épanouissement des enfants, à l’apprentissage de la vie en société. La famille apparaît ainsi comme fondamentale pour assurer la cohésion sociale : elle lie l’individu-personne à la collectivité. Visant l’épanouissement des familles, la politique familiale est donc morale ; elle est également économique, ce qui n’est d’ailleurs pas contradictoire.
La fonction économique de la famille
En premier lieu, la famille constitue le terreau des ressources humaines d’un pays : la seule richesse véritable est l’homme bien formé. D’une certaine façon, la famille rend différents services à la société. Contribuer à son épanouissement est donc un investissement dont le coût initial doit être rapproché des revenus à venir. La notion de « coût d’opportunité » justifie alors de se référer au coût de la « non-famille ». Le cas des familles nombreuses mérite une attention particulière : ce sont celles qui souffrent le plus économiquement alors qu’elles contribuent davantage que les autres au dynamisme démographique. Pour toutes ces raisons, la politique familiale doit être subsidiaire, universelle, positive, cohérente et stable. Il est nécessaire en particulier que les mesures prises soient durables car la famille s’inscrit dans le temps ; elle ne saurait être réduite à une politique sociale. La lutte contre la fracture sociale doit d’abord se faire de façon préventive, en formant le capital humain.
« "Présidentielle : quelle politique familiale pour les cinq prochaines années ?", par Jean-Didier LecaillonUNE BREVE HISTOIRE DES ECONOMISTES AIXOIS »
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