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Comment lutter contre les causes réelles de la pauvreté ?
Intervention de Jacques BICHOT à Lyon le 30/10/2010 sur le thème "Comment lutter contre les causes réelles de la pauvreté?", autour des 3 thèmes:
Les taux de pauvreté observés en France sont parmi les plus bas de ceux des pays développés.
Principe de la ligne : lutter contre la pauvreté devrait d’abord consister à rétribuer correctement les actions utiles, et à s’organiser pour qu’un maximum de personnes puissent accomplir de telles actions. L’assistance est un pis-aller.
La lutte contre la pauvreté requiert à la fois une stratégie économique et sociale d’ensemble et une complète personnalisation des prises en charge.
Le tout à la lumière de la doctrine sociale de l'Eglise et en particulier de Caritas in veritate
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Comment lutter contre les causes réelles de la pauvreté ?
Jacques BICHOT, professeur émérite à l’université Lyon-3, vice-président de l’Association des économistes catholiques
1/ Les taux de pauvreté observés en France sont parmi les plus bas de ceux des pays développés. C’est ce que montre une étude de l’OCDE.
L’indicateur retenu est le niveau de vie du ménage (quotient de ses revenus monétaires par le nombre d’unités de consommation qu’il représente). 3 seuils sont utilisés pour caractériser la pauvreté : 40 % ; 50 % ; et 60 % du revenu médian (celui du ménage qui a 50 % de plus pauvres et 50 % de plus riches).
- En retenant 40 % (« grande pauvreté »), la France a 2,8 % de pauvres. Deux pays seulement font mieux : le Danemark (2,1 %) et la Suède (2,5 %). La Finlande est à égalité ; la plupart des pays européens sont entre 3 % et 7 % ; le Japon est à 9,5 % et les USA à 11,4 %.
- En retenant 60 % (conception extensive de la pauvreté), la France vient en 4e position avec 14,1 % de pauvres. Suédois (11,4 %), Danois ( 12,3 %) et Norvégiens (12,4 %) font mieux. L’Allemagne (17,2 %), le Canada (19 %) et l’Italie (19,7 %) font moins bien. Le Japon (20,8 %) et les Etats-Unis (23,9 %) sont en queue.
Certes, le taux de pauvreté monétaire n’est pas un indicateur excellent, car bien d’autres facteurs que le revenu monétaire entrent en ligne de compte ; et même si on se limite à l’aspect « niveau de vie », la prise en compte du revenu monétaire n’est pas suffisante, car il faudrait tenir compte du revenu en nature que beaucoup tirent de la propriété de leur logement, ou de la réalisation de travaux domestiques. Néanmoins, on aurait tort de jeter le bébé avec l’eau du bain : ces taux de pauvreté sont des indicateurs qui ont le mérite d’exister et de refléter une composante importante de la situation.
Morale de cette histoire : il n’est pas sérieux de stigmatiser la France comme étant un pays très fortement touché par la pauvreté. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire d’autre que chanter cocorico.
2/ Principe de la ligne : lutter contre la pauvreté devrait d’abord consister à rétribuer correctement les actions utiles, et à s’organiser pour qu’un maximum de personnes puissent accomplir de telles actions. L’assistance est un pis-aller.
La doctrine sociale de l’Eglise et les principes de la République française se rejoignent pour aller vers une politique visant à donner à tout être humain des occasions de se rendre utile et de tirer des revenus des services qu’il rend plutôt que de l’assistance. En quelque sorte, Chrétiens et Français se reconnaissent dans une version un peu transformée d’un célèbre proverbe chinois : donne un poisson au pauvre, tu le nourris un jour, et tu ne fais rien pour sa dignité ; apprends-lui à pêcher, et ne lui confisque pas le produit de sa pêche, tu lui permets de se nourrir sa vie durant, et tu contribues à restaurer sa fierté.
Côté républicain, citons la Constitution de 1793, dont le préambule consiste en une version enrichie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’article 21 de cette nouvelle Déclaration dispose : « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » Ce texte indique ainsi que les personnes capables de travailler ne doivent pas être entretenues à ne rien faire, mais mises en situation de se rendre utiles et d’en tirer une juste rémunération. C’est la stratégie de la ligne et de son mode d’emploi, le don du poisson devant être réservé à ceux qui ne peuvent pas pêcher.
Côté ecclésial, on citera le Décret Apostolicam actuositatem de Vatican II selon lequel il ne faut pas « offrir comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice ». Cela s’applique non seulement à la juste rétribution du travail effectué, mais aussi à l’occasion d’exercer un travail. La Constitution pastorale Gaudium et Spes, également de Vatican II, rappelle que le bien commun est « un ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». Or qui oserait dire que l’accès au travail ne fait pas partie de ces conditions ? Recevoir de quoi vivre sans rien faire d’utile, si l’on est capable de travailler, ce n’est certes pas la perfection !
Risquons une application au cas délicat des demandeurs d’asiles et des immigrés clandestins. L’administration et, le cas échéant, les tribunaux, mettent souvent fort longtemps à statuer sur le sort de ces personnes ; en attendant, elles peuvent être prises en charge dans des structures d’accueil, mais il leur est interdit de travailler. L’accès à la ligne, au gain de leur pain quotidien, leur est ainsi refusé. De telles dispositions sont indignes, tant du point de vue républicain que du point de vue chrétien.
Dire cela ne signifie nullement partager l’idéologie selon laquelle la France devrait accueillir toute la misère du monde. J’adhère à la phrase suivante du Compendium de la doctrine sociale de l’Église (n° 298) : « La réglementation des flux migratoires selon des critères d’équité et d’équilibre est une des conditions indispensables pour obtenir que les insertions adviennent avec les garanties requises par la dignité de la personne humaine. » Et je précise simplement que la dignité des migrants inclut au premier chef l’accès au travail.
Seconde application – il y en aurait bien d’autres, mais il faut se limiter : la parentalité. Notre société ne reconnaît pas comme elle le devrait l’utilité, y compris économique, de la fonction parentale. Par exemple, les prestations familiales sont conçues de plus en plus comme une assistance, une redistribution en faveur des familles pauvres. Le dernier rapport Attali, remis voici 15 jours au Président de la République, conseille ainsi la mise sous conditions de ressource des allocations familiales. Cela reviendrait à donner à certains parents, au titre de la charité républicaine, dite solidarité, ce qui est due en stricte justice à tous les parents en raison de l’utilité qu’ils présentent pour la société en élevant des enfants. A quand la mise sous conditions de ressources des traitements des enseignants ?
3/ La lutte contre la pauvreté requiert à la fois une stratégie économique et sociale d’ensemble et une complète personnalisation des prises en charge.
Commençons par la nécessité du « sur-mesure ». Soit le problème de la dépendance, qui est un cas particulier de pauvreté : quand on devient dépendant, physiquement ou psychiquement, même si l’on a une retraite confortable, on entre dans la catégorie de ceux dont les bien portants disent « le pauvre ».
Chaque dépendance est un cas particulier, qui évolue. Les personnes dépendantes ne doivent pas être traitées comme des poulets que l’on élève en batterie, toutes au même régime ! Les appareillages et les prothèses, les régimes, les lieux d’habitation, les activités, aussi bien que les traitements médicaux et les séances de kiné ou l’aide ménagère, tout cela doit être adapté au cas particulier de chaque personne dépendante. Cela relève de ce que l’on peut appeler l’artisanat technologique : il s’agit d’artisanat, et non de production en série ; mais une partie des intervenants a recours à de la haute technologie, qu’il s’agisse de médecine, de mécanique, d’électronique, de domotique, etc..
Le problème du pauvre « classique », c’est-à-dire désargenté, ressemble par certains aspects à celui de la personne dépendante. Il ne parvient pas par ses propres moyens à disposer d’un revenu suffisant pour vivre confortablement. La famille pauvre, pareillement, manque des ressources propres qui permettraient à chacun de ses membres de vivre correctement. Il s’agit donc d’un manque d’autonomie : cette personne ou cette famille a besoin d’une aide extérieure. Dans les deux cas, l’aide a pour but premier de maintenir ou de restaurer un certain niveau d’autonomie. Parfois il faut remettre en selle quelqu’un qui a perdu son employabilité ; d’autres fois l’ambition des aidants doit raisonnablement se limiter à des objectifs plus modestes tels que la sociabilité, la capacité de s’occuper de sa propre santé, d’effectuer certaines démarches, etc.
Quand on discute avec des responsables de Centres d’hébergement et de réinsertion sociale(les CHRS) on voit que, pour beaucoup de leurs « clients », l’objectif d’une remise au travail ne saurait être atteint, en tous cas pas en quelques mois. D’autres personnes en situation de pauvreté traversent simplement une mauvaise passe, et ont besoin d’un coup de main – mais d’un coup de main au bon moment, et possédant des caractéristiques adaptées à leur problème. Pour l’un ce sera des soins, pour tel autre une formation, pour un troisième un soutien psychologique, pour un autre encore une cure de désintoxication ; il arrive aussi qu’il suffise d’un simple dépannage financier, d’une remise de dettes, d’une aide pour accomplir certaines formalités.
Ainsi, dans une forte proportion les personnes et les famille en situation de pauvreté relèvent non pas d’une assistance standardisée mais d’une aide adaptée à leur cas particulier. C’est la condition de l’efficacité ; c’est aussi une exigence de respect des personnes. Ceci ne doit pas faire perdre de vue que le traitement de la pauvreté le plus personnalisé qui se puisse concevoir ne donnera pas de très bons résultats si les politiques macroéconomiques ne sont pas intelligentes. En la matière, la doctrine sociale de l’Eglise ne fournit aucune recette.
Nous sommes invités par des textes comme Caritas in Veritate à réfléchir par nous-mêmes, à mettre sous pression nos petites cellules grises pour trouver les bonnes solutions. Personnellement je pense que l’emploi crée l’emploi en un cercle vertueux, et qu’il faut surtout éviter de freiner cette dynamique par des interventions intempestives, par une multiplication des réglementations et par une valse des mesures, une instabilité juridique et institutionnelle. Je pense aussi que si l’hypertrophie de nos codes du travail, des impôts et de la sécurité sociale créent du sous-emploi et de la pauvreté, il en va de même de l’incapacité des pouvoirs publics à canaliser les activités financières et à endiguer toutes sortes de parasitismes : la liberté qui génère des emplois est celle des enfants de Dieu et celle de la devise républicaine et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pas celle du renard dans le poulailler.
Conclusion : être des serviteurs diligents mais conscients de leurs limites
Pour lutter contre les causes réelles de la pauvreté, il me semble que nous devons réfléchir à ce que dit Jésus en Luc 14, 28-33 : « Qui de vous en effet, s’il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » Qui veut s’attaquer au mal présent dans notre société, aux dysfonctionnements de notre économie, ne doit pas agir seulement en suivant ses bons sentiments ; il lui faut s’asseoir et réfléchir à la meilleure manière de procéder. C’est d’ailleurs un message de Benoit XVI dans
Caritas in veritate : toute charité bien ordonnée commence par l’analyse des problèmes et la recherche des solutions en mobilisant tout notre potentiel intellectuel. Une fois que nous aurons fait cela, et agi en conséquence, « nous aurons toujours des pauvres avec nous », comme le dit Jésus en Matthieu 26, 11. Son royaume n’est pas de ce monde, il n’y aura jamais de société parfaite. Nous devons lutter contre la pauvreté en mobilisant toute notre énergie, mais aussi en sachant que, ce faisant, nous sommes des serviteurs, et que le serviteur n’est pas plus grand que le maître. Le but ultime n’est pas l’éradication de la pauvreté, mais la présence de l’amour, indissociablement humain et divin, qui s’exprime à travers les comportements et les pensées des pauvres et des nantis.
Tags : pauvreté, Bichot, Caritas in veritate, doctrine sociale, Eglise, encyclique
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